Ses yeux bleu azur scrutent attentivement le reflet flou qui se dessine dans le miroir au cadre marbré. Ses fins cheveux courts de la couleur du bois d’ébène encadrent ses joues rondes, ces fameuses pommettes qui lui donnent un air de poupée en porcelaine. Lorsqu’elle sourit à la vue de son visage, ses fossettes se creusent tendrement. Sa générosité est à l’image de la douceur de ses traits. Elle tend alors sa fine main d'elfe baguée vers son cou et remonte sur la froide vitre son tatouage en forme de croche qui s’étend discrètement dans le creux de son épaule. Juste là, sur cette veine qui court tranquillement vers son cœur. La musique touche le cœur des gens comme elle l’a atteint, elle. Elle se racle la gorge et un la léger sortit de sa fine bouche aux lèvres framboise. Ses ongles vernis de la couleur de sa robe pourpre, sa préférée, martèlent un rythme ternaire  et ses bagues argentées claquent contre le bois vernis de la table. Elle songe au diner auquel elle devrait assister le soir même et ses muscles se contractent à l’idée de rester assise pendant des heures et des heures. Par contre, elle se réjouit d’avance du repas qu’elle allait déguster puisqu’elle adore manger. Surtout les sucreries, celles qui fondent dans la bouche, celles qui illuminent ses papilles d’un feu d’artifice, celles dont le goût restent en sa mémoire pour toujours. Sa mémoire gustative est presque aussi grande que l’auditive. Après tout, la gourmandise est un vilain défaut. Il faut bien qu’elle compense par des qualités. Elle continue de chanter sans s’arrêter, reprenant son souffle sans que sa voix en soit altérée. Elle s’arrête. Elle a encore oublié d’incanter pour faire grandir Phèdre dans la baignoire. Elle porte à sa bouche la main qui frappait les tempi. Quelle étourdie, elle faisait. Elle oubliait toujours tout. Elle oubliera certainement sa tête un jour. Elle reprend mais se fige en entendant bouger derrière elle. Des frissons la parcourent, peureuse étourdie et perdue dans le noir sans sa voix pour l’éclairer, mais elle éclate de rire en voyant sa petite Balboune arriver dans sa bulle. Elle la prend dans ses bras et la laisse se lover contre ses petits bras qui étaient proportionnels à sa taille. Un petit mètre cinquante de naïveté, de maladresse et de peur. Elle jette un regard à l’ombre qu’elle dessine et lui tendit les bras, comme pour la câliner. Douce, petite et généreuse Freyja.

Chère maman,
Je t’annonce aujourd’hui que je suis partie d’Omois. Vois-tu, je sais qu’il m’attend. Je lui ai promis que je reviendrai à lui un an après qu’il est parti. Je regrette toujours sa décision et je souffre qu’il ne m’en ait parlé plus tôt. Nous aurions pu fonder une famille. Nous aurions pu choisir de déménager dans une ville plus accueillante que Tingapour. J’imagine très bien que tu ne comprends pas ce que je veux dire et je sais pertinemment que tu hausses ton sourcil gauche à l’heure où tu me lis. Sache que c’est donc la dernière fois que j’écrirai de cette adresse. Ne me demande pas où je vais, ne me cherche pas. Tu sauras bien assez vite où je me trouve. Tu te souviens de la petite boîte à musique que je t’ai offerte pour ton anniversaire ? Garde la en souvenir de moi. Je ne t’ai jamais dit le nom de la musique qu’elle joue. C’est Amazing Grace, une musique qui appelle à la paix et au pardon. C’est effectivement tout ce que je te demande. Que tu lui pardonnes aussi. Il m’a fait du mal, certes. Mais il n’est plus là et nous devons respecter son choix. Nous devons vivre dignement. Et ne se souvenir que des meilleurs moments passés ensemble.


Chère maman,
Sa tombe est fleurie des larmes que j’ai versées. Chaque minuscule goutte salée m’a libérée de ce poids qui me rendait coupable de son geste. Je le revois encore me dire « bonne nuit, mon amour, à demain. » pour la dernière fois. Son geste tendre de la main qu’il a eu contre ma joue. Comme nous avons été heureux pendant ces sept années de mariage. On dit que le cap à franchir est celui des sept années. Nous ne l’avons pas franchi ensemble. Il s’en est allé seul et m’a abandonnée. Je ne devrais plus avoir de ressentiment envers lui. J’ai épongé toutes ses dettes. Merci, ma petite maman, de m’avoir secondée dans cette tâche. Je t’en serai éternellement reconnaissante.  Lui aussi t’appréciait énormément. Mais peut-être trop ? Je n’en suis pas certaine. Tu m’as toujours caché de nombreuses choses. Je ne te l’avais pas encore annoncé mais je suis enceinte. De quatorze semaines. De lui évidemment. Peut-être qu’il voulait simplement m’anéantir une fois de plus ? Et si le bébé ne parvenait pas au terme… Je commence à avoir les nausées matinales. J’espère que tout se passera bien.


Chère maman,
Je ne sais pas si je devrais vous appeler ainsi. Vous êtes un monstre. Vous m’avez volé mon Cèdre. Vous avez couché avec lui. Vous êtes un monstre. Comment avez-vous pu ? Vous êtes donc la responsable de son suicide. Il n’a pas supporté ce qu’il a fait. Il m’a laissé une lettre. Je viens de la trouver. Je vous hais. Je vous hais.
Arrêtez de m’envoyer des lettres. Je ne puis tolérer encore une seule de ces missives. Le bébé naîtra, bien qu’il ne fût pas le fruit d’un véritable amour. Je le lui donnerai cet amour.
Je ne vous embrasse pas. Je vous oublierai, comme vous avez oublié que j’étais votre fille.



Mon très cher frère,
J’ai recommencé à chanter. Je composais avec ma harpe quand ma voix s’est déclenchée d’elle-même. Si tu savais combien je suis terrifiée et réjouie de me savoir capable d’utiliser mon instrument préféré. C’en est grisant. Viens avec ta femme et la jolie petite Perséphone m’entendre au théâtre de l’Espoir, rue des Géants d’Acier à Travia. Je peux chanter Amazing Grace. Je peux chanter à nouveau. Ma vie est revenue avec mon familier, Phèdre. Elle est tellement adorable. Et elle chante tellement bien. Sur scène, elle vient avec moi. C’est juste sublime. Tu sais quoi, mon frère chéri ? Je  suis tellement heureuse… Mon bébé se porte comme un charme. Ce sera un garçon. Je vais l’appeler Tyr. Qu’en penses-tu ?

Je vous embrasse tendrement.
Ta sœur qui t’aime fort.
P-S : Pense à m’envoyer des titres que tu voudrais que je chante. Tu sais que je ferais tout pour toi !