Elle observa les alentours, cherchant une quelconque distraction qui pourrait la satisfaire. Des bourges, des bourges par centaines, des laids, des acceptables, des à vomir, mais ils avaient tous cet air particulièrement horripilant des bourges, cet air supérieur, ce regard et ce port de tête haut … Elle aurait juste voulu faire un croche-pied à l'un d'eux, mais elle ne pouvait pas. Se voir interdire quelque chose la frustrait, l'énervait, la foutait juste en rogne, en fait. Elle commençait à mal supporter d'attendre dans son coin, immobile et les nerfs à vif, prête à exploser.
Mais elle avait besoin de rester ici. Elle avait besoin de cet argent qu'on lui avait proposé. Ce type était plein aux as, elle le savait. Et il était également évident qu'il comptait sur sa présence, sans quoi ce riche client ne parlerait pas d'elle en bien. Donc elle était ici, à s'emmerder comme un rat mort.    

Ses mains s'ouvraient et se refermaient nerveusement. Certains avaient d'ores et déjà remarqué sa présence, malgré tous ses efforts pour ne pas se faire apercevoir. Dieu tout puissant, qu'elle les détestait, avec leur mine avenante, leur petit sourire vicieux, leur air de type qui a réussi dans la vie. La Vampyr accueillait froidement les salutations de ceux qui osaient l'approcher, et ne répondait que s'il était nécessaire de répondre. Elle jeta un nouveau coup d'œil à la montre camouflée dans sa poche. Le temps n'avançait pas, et qu'elle s'ennuyait …

N'en pouvant plus, elle vint prudemment à la rencontre de la foule qui s'amassait lentement au rythme de l'arrivée des invités. Ils avaient l'air tous plus ou moins affectés, mais elle ne leur trouvait pas un air si triste que cela. Elle avisa enfin son client, qui l'accueillit avec un sourire chaleureux - mais pas forcément heureux. Elle ne savait pas deviner si ce type était faux ou s'il était sincère dans ce qu'il faisait et disait. Il la présenta aux personnes qui l'entouraient, et Helena se maudit d'avoir eu l'idée de venir ici. Elle aurait mille fois préféré se morfondre dans son coin que d'être l'objet de l'attention générale.
Avec un sourire splendidement forcé qui ressemblait plus à une grimace qu'autre chose, elle serra des mains, observa des visages, ne comprit pas un traître mot de ce qu'on lui disait, et se contenta de hocher la tête positivement, ce qui sembla convenir à tout le monde. Puis, après cette brève et désagréable expérience, elle eut le bonheur de pouvoir s'écarter de la foule car son bien-aimé client avait quelque chose à lui dire.

« Je voulais juste vous prévenir qu'une personne que vous connaissez est ici … »

Il jeta un regard dans une direction que Helena suivit des yeux. Son sang se glaça dans ses veines. Mais qu'est-ce qu'elle foutait là, elle, au juste ?

« Mademoiselle Van Craft ? »

La Vampyr frissonna. Elle n'avait pas envie de voir cette fille ici. Elle repensa soudain aux dernières paroles qu'elle avait prononcées, énigmatique. Avait-elle organisé tout cela ? Non, c'était le pur fruit du hasard. Mais pourquoi ce vieux l'avait engagée alors, malgré la scène à laquelle il avait assisté … ? Il ne lui sembla pas judicieux de lui cracher la question au visage, et elle se contenta de lancer un regard orageux à la rouquine.
Certes, cette apparition pouvait être source de divertissement, mais Helena sentait cela comme un mauvais présage. Si Trianna avait tenu parole …

« En fait, je crois que nous nous reverrons bien assez tôt. J’étais venu pour affaires, et je compte bien convaincre mon client de reprendre ce contrat. Donc… Nous nous recroiserons sous peu, je pense. »

La jeune femme détestait se voir prendre au dépourvu ainsi. Son client l'observa d'un air avenant. Tout cela, c'était à cause de son stupide contrat. Son sourire bonhomme n'y changeait absolument rien. Ce type, elle le détesterait pour les années à venir. Cela ne la changeait pas réellement de d'habitude, il lui était tellement simple de mépriser les gens …
Mais elle se demandait sincèrement comment Trianna avait réussi ce tour de force, et il était évident que la question lui brûlait les lèvres.

« Bon … Eh bien je vous laisse, je suppose que tout est arrangé entre vous depuis la dernière fois. »

Helena se demanda comment diable cet être pouvait oser affirmer cela. Parce qu'elle ne criait pas à l'assassin ? Parce qu'elle ne tentait pas de lui sauter à la gorge ? Il semblait honnêtement penser que l'absence d'agressivité de la part des deux femmes était un signe de réconciliation. Ou il préférait penser cela, ou il était réellement bien innocent.
D'un pas hésitant, la Vampyr s'approcha de la rouquine, l'air franchement maussade. Une fois à une distance respectable d'elle, elle grogna une phrase, à peine compréhensible tant elle mâchait ses mots.

« Comment avez-vous fait ça ? »

Elle détourna le regard. Trianna n'était probablement pas là depuis à peine cinq minutes, elle était sûrement présente depuis presque autant de temps qu'Helena. Et si elle l'avait vue, enrageant comme un lion de cirque en cage, ou désorientée à peine quelques instants plus tôt ? Elle pria pour que la rouquine n'ait rien vu de tout cela.