Assis sur le ponton juste à côté de son appartement, il laissait ses jambes fines tremper paisiblement dans le fleuve qui descendait jusqu’à l’océan. Il souleva légèrement son chapeau gris qu’il ne quittait jamais à l’extérieur. Le soleil pénétrait par intermittences dans son regard bleu horizon tandis que le vent balayait ses quelques mèches folles qui descendaient sur son cou. Sa chemise était ouverte et permettait de voir une large cicatrice barrer les abdominaux et remonter vers le dos. Sur le ventre, il s’agissait d’un cercle sanguinolent dont les contours commençaient à blanchir. Si l’on lui ôtait entièrement le tissu, on remarquait sans peine que la balafre était identique de l’autre côté de son corps mais qu’elle n’était pas du tout cicatrisée. S’aidant de ses fines mains où se trouvait une bague en forme de salamandre au pouce, il se releva après avoir récupéré ses béquilles. Son épi brun se trémoussait au rythme de sa marche claudicante. Malgré le manque de confiance qu’il avait eu dans le passé, il était aujourd’hui très fier de ce qu’il avait réussi par le passé. Il ne laisserait plus jamais personne lui marcher sur ses platebandes. Soudain, il trébucha sur une racine invisible et s’étala de tout son long contre le sol. Son nez pointu se retroussa en voyant toute la poussière qu’il avait sur sa peau pâle. Comme d’habitude, il n’avait pas manqué d’user de sa maladresse. Il se redressa péniblement, jurant comme un charretier en voyant sa tenue déchirée et en se remettant en marche. Plus doucement. Sa fine stature lui permettait de trouver facilement des vêtements, puisque les premières tailles qui partaient étaient le L et le XL. Il n’aurait donc pas de problème pour trouver de nouveaux habits. Il s’habillait de manière décontractée, le tout était qu’il n’ait pas trop chaud. Il se tenait toujours droit mais les béquilles ne rendaient pas cette tâche aisée. Mais elles lui donnaient un style d’homme à choyer, qui ne manquait pas de séduire les filles. Il sourit au soleil et ce fut comme s’il lui souriait à son tour.

Quand il avait rencontré Magister pour la première fois, la chose qui le frappa – avant son poing – directement fut son charisme. Quand il parlait, les conversations s’arrêtaient, les voix se taisaient, il lui semblait que même les Chatrix au dehors stoppaient leur feulement pourtant continu. Olympe était attiré par ce charisme. Il voulait le comprendre mais surtout apprendre à le maitriser, à l’utiliser pour lui, pour convaincre son auditoire. Le Maitre ne refusa pas une jeune recrue, c'était là l'avenir des Sangraves. Les plus expérimentés partaient en mission mais ne revenaient pas forcément. Les jeunes pouvaient servir de soldats pendant les guerres ou les attentats, il y en avait toujours un qui y laissait sa vie. Le jeune homme était rentré dans les rangs des gris alors qu'il avait quatorze ans. Il en avait aujourd'hui dix-neuf. Il ne faisait plus partie des leurs. Ce n'est que grâce à de la chance qu'il a réussi à se démêler de l'enfer et de la violence Magisterienne.

Il fut choisi pour aller déposer les bombes dans le Splendide. Magister avait oublié de préciser qu'il en avait mis également sous sa cape. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'il découvrit la charge sur lui. Une petite bombe, mais une bombe qui était sur lui tout de même. Il n'eut même pas le temps d'essayer de l'enlever. Tout le monde s'écarta de lui d'un coup et d'un seul.

5.

4.

3.

2.

1.

BOUM.

Il se réveilla dans une maison qui n'était pas son appartement, le gris, le sombre, le puant, le sale. Une petite main passa devant ses yeux mais il ne voyait pas le visage de l'enfant. Il n'entendait pas non plus ce qu'il disait. Seule cette petite main lui indiquait que c'était un enfant qui se trouvait près de lui. Il essaya de bouger ses jambes. Malgré les tentatives, rien n'y fit, ses jambes demeuraient lourdes.

L'enfant s'appelait Cléo et était la fille d'un Chaman qui l'avait trouvé là. Ils s'occupèrent tous deux de lui jusqu'à ce qu'il puisse les entendre. Ils communiquaient par écrit. Ces deux sauveurs écrivaient et le blessé ne répondait qu'à l'aide de sa tête. Ils revenaient lui changer ses pansements toutes les quatre heures et le cercle de magie démoniaque se déformait à mesure que la présence de Magister s'éloignait. Seule sa jambe droite reprenait vie. La gauche restait inerte.

Ayant retrouvé l'usage de sa voix et de ses tympans, il quitta ses amis. Il leur promit de revenir chaque mois. Il déménagea au Lancovit et apprit à se servir de ses béquilles. Ce qui était maintenant une cicatrice réagissait en présence de magie démoniaque en le faisant souffrir encore plus.
Tout ce qu'il demandait désormais, c'était la paix. A 20 ans, c'était tout ce qu'il espérait. La vie l'avait déjà assez meutri ainsi.