Elle se réveilla, s’aidant de ses membres engourdis pour se lever. Sa tête tournait péniblement. Tournait, tournait, tournait. Elle pouvait entrevoir le monde par intermittences. C’était beau.

C’était rare qu’elle trouve quelque chose de beau. Pour elle, à la limite, un objet était joli. Mais éphémère. C’était ça, sa définition du joli. Beau, c’était comme la musique : agréable à écouter, mais si elle est belle, cela veut dire qu’elle le restera pendant plusieurs années. Et ne s’effacera pas comme elle est venue. Si elle est jolie, c’est agréable à écouter. Mais point. Elle se laissera oublier tranquillement. Les yeux de ses frères et sœurs étaient jolis. Les arbres étaient jolis. La vie n’était ni belle ni jolie pour elle. Rien n’était beau. Tout était noir. Et seulement noir.

Elle avait couru jusqu’à être complètement épuisée. Elle s’était effondrée ici, près d’un Géant Bleu.
Elle se sentait calme près d’eux. En posant sa main sur l’écorce, elle pouvait sentir le cœur de l’être battre. Paisiblement, doucement. Comme il l’avait toujours fait. Comme il le fera encore pendant un certain temps. Elle s’était nichée au creux de l’arbre. Comme dans un cocon.

Elle se redressa enfin. La prairie qui se dessinait devant elle était loin du paysage qu’elle voyait habituellement. Ce paysage qui la dégoutait à présent. Paysage. Quel mot étrange. Elle ne pouvait apercevoir que des couleurs sombres, déprimantes depuis chez elle. « Chez elle ». Ce n’était pas chez elle. Elle ne s’y sentait pas bien. Trop sombre. Trop étroit. Trop enfermant. Trop ennuyeux.

Elle se pencha et noua ses petits bras autour du tronc du puissant arbre. Elle déposa un léger baiser sur un pan de l’arbre qui se détachait. Elle n’avait pas envie de partir. Elle voulait rester nichée avec lui pendant toute sa vie.
Ça y est. Elle pleurait. Des larmes longtemps contenues. Trop longtemps.
Elle s’éloigna lentement du Géant. A regrets.

L’herbe, normalement bleue, semblait se fleurir sur son passage. Les fleurs lui tendaient les bras et elle se contentait de ravaler ses larmes. Le ciel était d’un camaïeu de bleu, magnifique. Elle évoluait, telle une fée, dans son habit rouge. Le soleil, haut dans le ciel, l’observait avancer, même courir.
Elle-même ne savait pas pourquoi elle courait ainsi. Elle voulait s’épuiser physiquement. Pour enlever la fatigue morale. Courir toujours plus vite, plus loin.

Soudain, une voix s’éleva dans son esprit. Lente, mélodieuse, envoûtante. Douce, mais puissante. Cette voix était un paradoxe. Elle s’arrêta brutalement dans sa course.
Une fleur dorée attira son regard. Intriguée, et surtout mue par le chant qui l’hypnotisait, elle se dirigea vers elle.
Elle tendit sa minuscule main, la voix s’intensifiait. Elle était là. Sa vie se trouvait devant elle.

« Je suis là, Myrrha. Relève ta tête et souris-moi. Ne pleure pas. »

C’était une petite Brillante. Fine, bleue. Des ailes turquoise, une minuscule robe bleu ciel. Et un regard doré. Magnifique.

Elle était là pour elle. Elle le serait pour Tenebrae.

Cette dernière voleta jusqu’à la joue de sa sœur d’âme et l’embrassa.
Et elle se mit à chanter. Une chanson magnifique, à la fois triste mais qui insufflait un brin de vie dans le corps de la jeune fille. Elle vit les cicatrices, les cernes, les pleurs, les souffrances de la jeune fille.
Et continua sa mélodie. Rassurante.

La jeune fille de dix ans sourit. Doucement. Comme un rayon de soleil après la pluie. Mais elle souriait.

Elle tendit ses bras d’enfant vers la Brillante et l’attira contre sa poitrine.
Elle allait vivre. A partir d’aujourd’hui, elle allait revivre.
Parce que Myrrha avait enfin retrouvé le sourire.